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Patrick, né en Belgique il y a 60 ans, n'a qu'une carte d'identité E+: "Je ne peux pas partir en vacances"

Patrick, né en Belgique il y a 60 ans, n'a qu'une carte d'identité E+: "Je ne peux pas partir en vacances"
 
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Ses parents n'ayant jamais fait les démarches pour qu'il obtienne la nationalité belge (son père était polonais), ce sexagénaire d'Ougrée (Seraing) se retrouve avec pour seul document officiel un permis de séjour permanent. Mais ça ne lui permet pas de quitter la Belgique. Quel est le problème de Patrick, et que doit-il faire ?

Il y a 60 ans, on prêtait moins d'importance à l'administratif. Tant que tout allait bien, on ne se tracassait pas plus que ça. Et ce n'est que des années plus tard, alors que la législation évolue, qu'on se retrouve dans des situations inédites.

Patrick a vu le jour en Belgique, à Ougrée, en 1956. Son père, né à Liège, était polonais et sa mère belge. Cependant, à l'époque, ses parents n'ont jamais fait la demande de double nationalité ou de naturalisation. "En fait je ne sais pas s'ils ont fait les démarches", nous a confié Patrick après avoir contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous.

Pas une carte d'identité classique mais une carte E+ qui s'assimile à un permis de séjour

Patrick est donc toujours polonais et se trouve dans une situation un peu confuse depuis sa naissance. Sans document d'identité polonais, il se contente d'une carte de séjour provisoire en Belgique depuis des décennies. "J'ai d'abord eu une carte d'identité jaune, en carton. Puis, avec les nouvelles normes, j'ai eu une carte E+".

Cette carte qui ressemble fort à une carte d'identité belge est en réalité un 'document attestant de la permanence de séjour'. Pour faire simple, elle est la preuve qu'une personne d'origine étrangère a le droit de résider en Belgique de manière quasi permanente. Il faut la renouveler tous les 5 ans auprès de sa commune, et c'est automatique: une fois que vous l'avez, c'est pour de bon, à moins de se faire expulser.

Pour en savoir plus sur les spécificités des différents titres de séjours des étrangers en Belgique, lisez ce document très détaillé de l'asbl Association pour le Droit Des Étrangers (ADDE).

"En Pologne, on ne sait même pas que j'existe"

Jusqu'à présent, ce flou administratif n'a jamais posé de problème à Patrick. Âgé de 61 ans, il est sous la mutuelle depuis deux ans, mais a travaillé auparavant dans l'horeca, et en tant qu'indépendant dans le secteur du transport express.

"En voiture, j'ai déjà quitté la Belgique plusieurs fois, pour aller en France. J'ai déjà même été en Pologne pour le travail, mais pas longtemps, et j'ai été bloqué à chaque fois deux heures pour entrer et sortir du pays, car en Pologne, on ne sait même pas que j'existe", explique le Liégeois.


La carte E+, pas suffisante pour voyager

Mais avec la tendance d'un certain renforcement des contrôles aux frontières suites aux attentats un peu partout en Europe, Patrick n'ose plus quitter la Belgique. Car en effet, la carte E+ n'est pas un document d'identité à proprement parler, même s'il y ressemble beaucoup. "Ce titre de séjour est un document permettant l’entrée sans visa dans les États membres de l’espace Schengen pour autant que son détenteur soit également porteur d’une carte d’identité ou d’un passeport national valable", explique l'ADDE. Ce qui n'est donc pas le cas de Patrick.

Difficile de savoir comment réagirait un policier européen lors d'un contrôle d'identité. Procès-verbal, amende, mise en détention provisoire ? Même constat avec les compagnies aériennes, mais à ce niveau, il y a un précédent: nous vous évoquions en 2015 le cas d'un père de famille en colère dont Ryanair avait refusé l'embarquement à la dernière minute car il ne pouvait présenter qu'une carte E+.

D'où la prudence de Patrick, et son triste constat: "Aller à Teneriffe en avion, ça n'est pas possible. Je ne peux même pas aller en France sans risque de me faire refouler à la frontière".

carteE+
Avec sa carte E+, Patrick ne peut pas aller bien loin...

Patrick a accompli des démarches administratives mais n'a jamais été jusqu'au bout

S'il veut voyager, Patrick doit (enfin) demander des documents d'identité officiels polonais. "Il doit aller au consulat ou à l'ambassade, il est en effet coincé tant qu'il n'a pas le passeport polonais", nous a expliqué Dominique Ernould, du service de l'Office des Étrangers du SPF (Service Public Fédéral) Intérieur.

"Mais je ne parle pas polonais, et les démarches sont très longues", estime de son côté notre témoin liégeois, qui a déjà entamé ces démarches auparavant. "C'était il y a de nombreuses années, j'avais arrêté car je devais payer un interprète, et il y avait des problèmes que je ne comprenais pas". Pour lui, c'est d'autant plus "révoltant" car, dit-il, "je ne me suis jamais senti polonais".

L'autre solution, c'est d'obtenir la nationalité belge. Mais là aussi, à la commune d'Ougrée où il a été se renseigner, il affirme avoir été vite découragé.

"Pour être naturalisé, il faudrait que je leur fournisse 600 jours de travail sur les 5 dernières années. Mais je suis à la mutuelle depuis quelques années, donc ça n'est pas possible. On m'a dit d'attendre 65 ans, que ce serait plus facile. Mais on m'a aussi dit que je pouvais être considéré comme apatride…"

En théorie, ça devrait être simple…

D'après l'ADDE dont les juristes connaissent les rouages administratifs de notre système, on parle depuis 2013 de "déclaration de nationalité", et il en existe 5 catégories, dont "l'étranger né en Belgique et qui y réside légalement depuis sa naissance". C'est le cas de Patrick, qui devrait donc avoir une procédure très simplifiée.

Car dans son cas, il suffit: d'être âgé de 18 ans au minimum, d'être né en Belgique, de séjourner légalement en Belgique et de façon ininterrompue depuis sa naissance, d'avoir un certificat de résidence avec historique des adresses et des séjours, d'être en possession au moment de la demande de nationalité d’un séjour illimité (carte E+, par exemple), de payer les 150 euros de droit d’enregistrement.

Mais dans la pratique, cela semble plus compliqué, en tout cas au niveau de la commune d'Ougrée. Nous avons essayé de joindre la 'mairie de quartier' d'Ougrée (liée à Seraing), mais elle ne peut pas se prononcer sur des cas particuliers.

"C'est pesant"

Patrick est amer. "J'ai les mêmes droits et les mêmes retenues sur salaire que les autres Belges. J'en veux au système, si j'avais été un grand joueur de football, je serais déjà naturalisé", déplore-t-il. "C'est pesant…".

Il ne lui reste qu'à trouver le moyen d'obtenir la procédure simplifiée auprès de sa commune, ou de retourner à l'ambassade de Pologne, en se faisant aider par quelqu'un parlant anglais.

Mais une chose est sûre: il devra encore attendre quelques mois avant de quitter la Belgique en toute légalité. 


 

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