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Somnolences, hallucinations, paralysie du sommeil…: le quotidien pénible de Jonathan, NARCOLEPTIQUE

 
 

Jonathan a été diagnostiqué narcoleptique à l’âge de 18 ans. Cette maladie l’empêche de travailler à temps plein, mais ne lui donne droit à aucune aide. Une injustice que dénonce ce jeune Wallon.

Lorsque les patients parlent de leur sommeil à leur médecin, il s'agit dans la grande majorité des cas de problèmes d'insomnie. Stress, surmenage au travail, temps passé devant les écrans... les causes forment une ritournelle bien connue. À contre-courant de ce fléau des temps modernes, Jonathan a des accès de sommeil irrépressibles. Mais ne vous méprenez pas, la situation de ce jeune homme de 28 ans n'a rien d'enviable, loin de là: il souffre de narcolepsie, une maladie rare (diagnostiquée chez environ 1.500 patients belges), sous-estimée, mal comprise par la société et pas reconnue en tant que handicap par le SPF (Service Public Fédéral) Sécurité sociale. "Un comble qui s'ajoute aux difficultés déjà nombreuses à accepter et vivre quotidiennement", s’indigne-t-il. Jonathan, qui habite Ecaussinnes, dans le Hainaut, nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous pour témoigner et pousser un cri de détresse au nom des personnes qui souffrent de narcolepsie.


Une scolarité perturbée par des endormissements incontrôlables

Les premiers symptômes de la maladie sont apparus quand Jonathan avait 12 ans. "Le plus souvent, une narcolepsie commence entre 8 et 14 ans", indique le professeur Robert Poirrier, neuropsychiatre au centre du sommeil du CHU de Liège.

À l'école, suivre les cours est devenu de plus en plus difficile pour lui. Après 20, 25 minutes, Jonathan s'assoupissait. "Dès que l'enseignant installait une certaine monotonie, mes paupières commençaient à tomber et je m'endormais sur le bureau", raconte-t-il. À l'âge de 16 ans, Jonathan pouvait rentrer en classe puis s'endormir au bout de deux minutes. Ces endormissements n'étaient pas sans conséquence: "Durant six années, j'ai été éjecté de tous les cours parce que je m'endormais tout le temps", se souvient-il.

Fatalement, ses résultats scolaires s'en sont ressentis. Jonathan a redoublé trois fois.

Mohamed Abbass, président de l'association belge de narcolepsie (ABN), connait bien ces problèmes, notamment à travers le cas de son jeune fils, narcoleptique lui aussi. "Le prof parle et ils ne sont plus là. Ils n’ont pas toujours les yeux fermés, parfois ils ont des hallucinations, ils sont entre le rêve et l’éveil. Il y en a qui voient un lapin, un train qui passe… ", raconte-t-il. Les examens écrits sont particulièrement difficiles pour ces malades. "Ils commencent à répondre, puis déconnectent. C'est très rare qu'ils arrivent au bout", indique-t-il.


À l’adolescence, l’incompréhension de son entourage face aux symptômes de la maladie

Jonathan n'a jamais osé parler à ses parents de ses endormissements en classe. "Déjà que je me faisais engueuler par les enseignants...", explique-t-il. Son père essayait de surveiller son travail à cause de ses difficultés à l'école. "Il me grillait tout le temps à m’endormir sur mon bureau. Ou alors je me réveillais quand je l’entendais arriver mais j'avais tout le temps le front rouge parce que ma tête tombait après trois, quatre pages d'un livre", raconte-t-il.

Après l'école, Jonathan dormait la plupart du temps, d'un sommeil non réparateur qui le mettait de mauvaise humeur et lui provoquait des céphalées (maux de tête). Il était donc perçu comme quelqu'un de paresseux et de mauvais caractère par ses professeurs et ses proches. "Faut dormir la nuit, faut que t’arrêtes de faire la fête le soir", s'entendait-il dire. "Pour la société c’est rien d’autre que les symptômes d’un ado fainéant. On pense qu’il a joué jusqu’à trois heures du mat sur sa console", explique le président de l'ABN.

Il a plusieurs fois raconté ses difficultés à se maintenir éveillé à son médecin traitant, mais celui-ci a mis le problème sur le compte de l'adolescence. "Le diagnostic n'est pas facile à poser parce que l'affection est assez rare et qu'on n'y pense pas toujours", indique le professeur Robert Poirrier. "La confusion est souvent faite entre la narcolepsie et les syndromes de fatigue chronique qui, eux, sont malheureusement très fréquents dans nos sociétés basées sur la vitesse et l’exploitation de l’homme par l’homme", précise-t-il.


Paralysies du sommeil et hallucinations "flippantes" l’ont poussé à consulter un spécialiste

À 18 ans, un nouveau symptôme de la maladie s'est manifesté alors que Jonathan était en vacances.

J'étais en train de faire une sieste sur un transat et j'ai voulu me réveiller. Pas moyen de bouger, j’étais complètement bloqué

De retour de vacances, d'autres symptômes sont survenus. Des hallucinations "excessivement flippantes", accompagnaient désormais ces paralysies, raconte-t-il. Comme ses parents pensaient qu'il s'agissait de simples cauchemars, Jonathan s'est tourné vers Internet. Il est vite tombé sur un site qui présentait les caractéristiques de la narcolepsie : somnolences, paralysies du sommeil, hallucinations... "Bah ouais c’est clairement moi", a-t-il alors pensé.

Son père a accepté de l’emmener au centre du sommeil de la Louvière "pour le rassurer"...


Le diagnostic confirmé par à une "polysomnographie"

Le sommeil de Jonathan a été analysé lors d'un examen appelé "polysomnographie" qui consiste à enregistrer simultanément l'activité électrique cérébrale, cardiaque, musculaire et des paramètres respiratoires. Le test, standardisé, est réalisé la nuit, puis le jour lors de cinq siestes à deux heures d'intervalle. La plongée, dans la journée ou au début de la nuit, dans le sommeil paradoxal, la phase du sommeil associée aux rêves, est un signe majeur de la narcolepsie.


Le cycle du sommeil

Pour bien comprendre, il nous faut rappeler la structure d'un sommeil normal : le sujet s’endort, il a une perte de conscience de l’environnement, les paupières fermées et les muscles relâchés. Il passe par un sommeil léger, puis un sommeil profond, réparateur, qui dure en moyenne une quarantaine de minutes. Vient ensuite la période dite de sommeil paradoxal, le stade où les rêves surviennent. Un cycle complet dure environ 90 minutes. Il y a 4 à 6 cycles par nuit.

Quand il s’endort, Jonathan, lui, passe par le sommeil léger, puis le sommeil profond — celui qui permet au corps de se reposer — est très court. En moins de 8 minutes, il entre en sommeil paradoxal (celui des rêves). Son sommeil est globalement beaucoup plus irrégulier, déstructuré.


Jonathan présentait plusieurs signes cliniques révélateurs

Avant la polysmnographie, plusieurs symptômes permettent d’orienter le diagnostic vers la narcolepsie : la somnolence diurne, c’est à dire des envies irrépressibles de dormir pendant la journée, mais aussi, si elle sont présentes, les "cataplexies", les hallucinations à l'endormissement et les paralysies du sommeil.


Cataplexie: perte brusque du tonus musculaire

Les cataplexies sont des pertes brusques du tonus musculaire déclenchées par une émotion (rire, surprise, plaisir ou colère). "La cataplexie est liée à l'irruption pendant la journée des activités de centres nerveux associés au stade dit du sommeil paradoxal", explique le Dr Poirrier. Il en résulte le plus souvent une paralysie partielle, comme un affaissement de la tête ou un relâchement de la mâchoire, mais le patient peut aussi tomber par terre.


Paralysie du sommeil: il se réveille mais ses muscles sont inactifs

Lors d’une paralysie du sommeil, le sujet a conscience d’être éveillé, mais ne peut pas bouger. Le phénomène s’explique par une désynchronisation entre le réveil de la personne et le retour de sa motricité. En effet, pendant le sommeil paradoxal, le dormeur n’a aucun tonus musculaire, ce qui l’empêche d’exécuter les mouvements qu’il visualise dans ses rêves. Lors d’une paralysie du sommeil, le patient se réveille alors que ses muscles ne sont pas encore en fonction. Cela créé une grande angoisse, d’autant que le phénomène s’accompagne parfois d’hallucinations, comme la présence d’un intrus dans la pièce.

Les paralysies du sommeil et les cataplexies font désormais partie du quotidien de Jonathan. Chaque nuit, il reste bloqué deux ou trois fois pendant 20 minutes.

Il y a une semaine, j’ai passé une des pires nuits de ma vie, je suis resté bloqué une heure en tout. Le lendemain, j’étais un zombie

Lorsque le diagnostic est tombé, Jonathan a ressenti un certain soulagement, malgré la gravité de la maladie. "J’ai commencé à analyser mon quotidien et j’ai réalisé qu’en fin de compte beaucoup de choses qu’on me reprochait, c’était pas de ma faute. Je me suis dit que je n’étais pas un si gros paresseux que ça", raconte-t-il.


Un traitement aux effets secondaires importants

Le jeune homme a commencé à prendre de la Rilatine, un excitant pour l’aider à se maintenir éveillé. "Ce n’était pas assez efficace", se souvient-il.

Le Provigil, un médicament conçu spécialement pour les narcoleptiques, l’était nettement plus, mais avec des effets secondaires importants : "J’étais une pile électrique. Vous me parliez, je vous tournais autour, je claquais tout le temps des doigts, j’avais des cloches au niveau des mains tellement j’étais nerveux, des aphtes partout", explique-t-il.


En dépit de ses symptômes, Jonathan a réussi à suivre une formation et décrocher un job

Jonathan a fini par quitter l’école en sixième secondaire pour suivre une formation à Tournai dans l’espoir de trouver un travail adapté à sa santé. Le trajet pour s’y rendre, une heure de train matin et soir, était un vrai calvaire. "J’ai eu des paralysies, des cataplexies dans le train quotidiennement. J’étais bloqué sur les sièges et on pouvait faire ce qu’on voulait, je ne pouvais pas réagir", raconte-t-il. "Vous n’imaginez même pas la peur que ça amène d’être entouré de gens que vous ne connaissez pas et d’être bloqué comme ça", confie-t-il.

Malgré ce chemin de croix, Jonathan est parvenu à décrocher un poste de secrétaire de direction dans une école primaire, il y a six ans. Il a commencé à mi-temps, un rythme de vie adapté qui a eu des effets positifs sur sa santé. Il est donc passé à deux tiers-temps. "C’est mon maximum. Malheureusement, je ne peux pas travailler plus", regrette-t-il. En 2016, la maladie a d’ailleurs commencé à reprendre du terrain. "Mes somnolences me rattrapent la journée, c’est un truc de fous", déplore-t-il.


Des entretiens frustrants avec le SPF sécurité sociale

Jonathan aimerait bénéficier d’un mi-temps médical, c’est-à-dire un mi-temps rémunéré comme un temps plein grâce à un complément mutuel. Mais le SPF Sécurité sociale considère que sa maladie n’engendre pas de handicap dans la vie quotidienne. Les questions posées lors des entretiens ne sont absolument pas pertinentes dans le cas de sa maladie, estime-t-il. Est-ce que vous êtes capable d’aller dans votre jardin ? Est-ce que vous pouvez vous laver tout seul ? Manger tout seul ?, etc. "Quand j’ai une paralysie du sommeil, je ne suis pas capable d’aller dans mon jardin, mais on s’en fout", tempête-t-il, écœuré.

Ces entretiens sont "très, très mal vécus", souligne le président de l'association belge de narcolepsie. "Les patients doivent montrer en un instant à quel point ils sont handicapés dans la vie. Or quand on voit quelqu’un qui a la narcolepsie, on ne remarque rien du tout, explique-t-il. Mais une heure ou deux heures après on ne sait pas du tout ce qu’il peut faire ou pas. Parfois une heure après il ne peut absolument rien faire, il peut juste dormir."


Jonathan a dû batailler pour décrocher son permis de conduire

Jonathan dénonce une politique de deux poids, deux mesures en matière de reconnaissance de son handicap par les autorités. D’un côté, le SPF Sécurité sociale ne reconnait pas sa maladie en tant que handicap, de l’autre la législation belge le juge inapte à conduire. Pour passer son permis, le CARA (Centre pour l’évaluation à la conduite et l’adaptation des véhicules) lui a demandé une autorisation de son neurologue. Ce dernier lui a fait passer un examen, pourtant pas obligatoire. "On m’a plongé six fois dans le noir complet, couché sur un lit pendant quarante minutes durant la journée, sans pouvoir dormir", raconte-t-il. Même s’il ne s’est pas endormi, son neurologue a jugé qu’il avait raté son examen parce qu’il avait chanté. Une expérience "intolérable" pour Jonathan qui a décidé de changer de spécialiste. Il a finalement décroché son permis à l‘âge de 24 ans, avec une autorisation de conduire d’une durée renouvelable d’un an.


Un litige avec son assurance pour obtenir un remboursement

En mars 2017, Jonathan a été hospitalisé dans un laboratoire du sommeil pour analyser l’évolution de sa maladie. À cette occasion il espérait pouvoir se faire rembourser son traitement pour la narcolepsie par son assureur, Ethias. "‘Pour une hospitalisation, vous avez la possibilité d’un remboursement 1 mois avant et trois mois après’. Je lis ça, je me dis ‘c’est vachement bien’ parce que j’en ai pour 500, 550 euros", raconte-t-il. Mais en dépit de ses insistances et d’un mot du médecin traitant, l’assureur a estimé que ces médicaments n’étaient "pas en relation directe avec l’affection faisant l’objet de (son) intervention".

Nous avons contacté Ethias pour comprendre cette décision de non-remboursement. À défaut d’explications, l’assureur a accepté de réexaminer le dossier et invite Jonathan à transmettre des documents médicaux complémentaires.


Le traitement médicamenteux de Jonathan étant déjà lourd, quelles solutions pour améliorer son quotidien ?

Récemment, Jonathan a consulté un psychiatre, un professionnel chevronné qu’on lui avait recommandé. Une rencontre dont il garde un souvenir mi-amer, mi-amusé. "Au bout d’une minute, il me fait ‘mais qu’est-ce que vous êtes en train de me raconter ?!’", rapporte-t-il. "Attendez j’ai pas fini", a-t-il prévenu, égrenant la liste des médicaments qu’il prend chaque jour : Provigil, Rilatine, Redomex, Remergon… "Mais c’est un traitement de cheval ce que vous prenez ! Comment vous êtes en face de moi ?", a réagi le psychiatre, interloqué par la gravité des problèmes de son patient. "Et ouais ben bienvenue dans ma vie…", ironise Jonathan.

Je suis obligé de prendre ce traitement, de m’empoisonner, pour pouvoir vivre la vie de n’importe quelle personne qui n’a absolument aucun problème de santé. Pourquoi ? Parce si je ne le fais pas, je ne suis pas aidé, je n’ai aucune compensation derrière


Des siestes anticipatives

La polysomnographie passée au mois de mars a montré que la maladie de Jonathan s’est aggravée, mais son neurologue n’a pas souhaité alourdir encore le traitement, "sinon je vais t’empoisonner", a-t-il justifié. Mais il n’y a pas que les médicaments qui permettent d’améliorer le quotidien des malades. "Le recours à des siestes anticipatives, de 20 minutes à 30 minutes, pendant la journée, permet une restauration de l'éveil dans les heures qui suivent. Il faut aussi respecter les heures de sommeil nocturne", indique le Dr Poirrier. "Les siestes courtes sont ultra efficaces", corrobore le président de l'association belge de narcolepsie (ABN). Impossible dans le cadre du travail, fait remarquer Jonathan.


La nécessité d'une bonne hygiène de vie

Le président de l’ABN insiste sur l’importance d’avoir une bonne hygiène de vie pour mieux vivre la maladie : alimentation, sport, siestes, traitement… Tout doit être sous contrôle. "C’est à peu près comme une vie d’athlète", estime-t-il.

Le jeune homme souligne également l’importance d’adapter son quotidien à la maladie. Pour lui, peu importe les médicaments, les patients atteints de narcolepsie sont incapables de suivre un rythme de vie normal. "Moi j’ai eu la chance de pouvoir trouver un emploi adapté et même si c’est excessivement difficile, j’ai des paralysies du sommeil, des cataplexies tous les jours et bien j‘essaye de mordre sur ma chique pour pouvoir tenir et pouvoir me lever au matin pour aller travailler", explique-t-il. Aujourd’hui, Jonathan aimerait pouvoir emménager avec sa compagne dans une petite maison à Écaussinnes. Son travail à mi-temps ne lui permettant pas ces dépenses, il redoute de devenir un "prochain Tanguy".


 

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