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Y a-t-il encore de la place pour des projets agricoles en Wallonie? Benoit défend son élevage de porcs contre des habitants

 
 

Un jeune agriculteur de 29 ans veut agrandir l'élevage de porcs familial et construire de nouveaux bâtiments pour engraisser 1800 bêtes supplémentaires à Ronquières dans le Hainaut. Mais, comme de plus en plus souvent dans ce genre de cas, il se heurte à l'opposition de riverains qui mettent notamment en avant les nuisances olfactives, visuelles et de mobilité générées par le projet.

Dissuadés par des conditions difficiles, de moins en moins de jeunes se lancent dans l'élevage ou l'agriculture en Wallonie. C'est une véritable chute. Les chiffres, fournis par la Région wallonne dans son rapport L'agriculture wallonne en chiffres sont limpides. En 2015, les moins de 40 ans ne constituaient même plus 10% des exploitants agricoles wallons (-30 ans: 1%, 30-40 ans: 8%). Le nombre de fermes a été coupé en deux entre 1990 (29.000) et 2015 (13.000), de même que celui des agriculteurs et éleveurs, passant de 46.076 en 1990 à 24.315 en 2010. La superficie agricole totale n'a, par contre, pas baissé drastiquement. On compte donc à présent moins de fermiers mais qui travaillent des terres beaucoup plus vastes. Un labeur dur, souvent pour des revenus faibles, parfois des pertes, conséquences des prix bas imposés par la grande distribution ainsi que d'importants remboursements de prêts contractés pour moderniser les moyens de production.

À ces complications vient désormais s'ajouter, de façon récurrente, l'opposition de riverains à l'installation de nouvelles fermes, déplore la Fédération wallonne de l'agriculture (FWA).


Dans les campagnes, il y a des fermes

Deux raisons probables. La première est la pression démographique. La Belgique est un des pays les plus densément peuplé au monde. La région bruxelloise saturée et hors de prix, on construit toujours plus en Brabant wallon et dans les zones du Hainaut les plus proches de la capitale.

La deuxième raison: les personnes qui s'installent à la campagne sont souvent déconnectées de la vie rurale dont elles ne connaissent rien et n'acceptent dès lors pas certains désagréments, fustige la FWA. "Ils ont une idée très bucolique. Ils pensent qu'à la campagne il n'y a que les oiseaux qui chantent. Mais non, il y a aussi une activité agricole", expose Ana Granados, conseillère en politique sanitaire à la FWA interrogée par notre journaliste Vincent Chevalier.

L'opposition d'habitants de Ronquières à un projet d'élevage de porcs illustre le phénomène.


Un bâtiment pour 1800 porcs et des hangars pour stocker des pommes de terre et d'autres récoltes

"La ferme familiale actuelle était auparavant à l’écart des habitations, ma grand-mère me disait que nous étions presque seuls au milieu des champs. Maintenant, c’est bien différent, nous sommes entourés de maisons", observe Benoit Pattyn. Le jeune homme de 29 ans travaille depuis dix ans dans la ferme familiale. L'envie lui est naturellement venue de construire sa propre aventure, tout en poursuivant l'aventure familiale démarrée il y a plusieurs générations. "Il est temps pour moi de m’installer à mon compte", s'enthousiasme-t-il, parlant du "projet d'une vie".

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Quel est ce "projet d'une vie"? "Construire un bâtiment pour 1800 porcs, un hangar pour le stockage de pommes de terre ainsi qu’un bâtiment de stockage pour les récoltes et le matériel. Mon but est d’exploiter une ferme mixte avec des cultures et de l’élevage", résume Benoit. L'actuel élevage de porcs des Pattyn engraisse la moitié des porcelets qui naissent sur place et vend l'autre moitié. L'intention est désormais d'engraisser aussi l'autre moitié.

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Enquête publique: des habitants se regroupent pour manifester leur opposition

Comme le veut la loi, une demande de permis d'urbanisme a été introduite et une enquête publique a été ouverte par la commune de Braine-le-Comte (sur le territoire de laquelle se trouve Ronquières) afin que les habitants puissent s'exprimer. Certains d'entre eux sont farouchement opposés au projet et ne ménagent pas leurs efforts pour le voir avorté. Ils se sont rassemblés sein d'un groupe appelé Usine à cochons à Ronquières, NON. Leurs motifs: les odeurs, un "paysage exceptionnellement intact" à préserver, des routes inadaptées, le type d'élevage selon eux éthiquement critiquable et qui les a amenés à qualifier le futur élevage d'"usine". "Ce projet va défigurer et empester ce décor exceptionnel et polluer l'air, la terre et l'eau de cet écrin", synthétise le collectif sur sa page Facebook.

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La réaction est excessive selon Luc Pattyn, le père de Benoit: "On peut comprendre que les voisins immédiats réagissent. Mais ici, avec les réseaux sociaux, on a largement dépassé ce cadre et on voit une réaction de l'ensemble de la population de Ronquières, d'Henripont (village voisin, ndlr), c'est démesuré", juge-t-il. Il pointe du doigt un mode de contestation méthodique qui ne laisserait pas de place au dialogue: "Il y a eu une démarche systématique d'opposition avec des étapes très claires: d'abord les réseaux sociaux, puis la presse, avant des réunions d'informations qui sont unilatérales, seuls les opposants étant présents", regrette l'éleveur.


Face aux "anti" qui s'organisent sur Facebook, Benoit demande le soutien des "pro" via un site internet

Si des voisins se sont organisés sur internet pour combattre le projet du jeune Benoit, ce dernier a riposté d'une manière similaire. Il a créé un site internet (JesoutiensBenoit.be) où il se présente, explique son projet et invite les personnes à le soutenir par l'envoi d'un message au service environnemental de la commune. "Mon projet a provoqué de vives réactions parmi les riverains, il semble faire peur. Pourtant, je peux vous assurer que tout est étudié pour causer le moins de désagrément possible. Je tiens à vous rappeler que le projet est consultable à l’administration communale et que nous sommes disponibles pour répondre à vos questions", informe-t-il.


Les arguments de la famille Pattyn

La famille Pattyn met en avant plusieurs atouts économiques et écologiques de son projet. Une viande locale et non pas une viande qui fera des milliers de kilomètres avant d'arriver dans l'assiette. "C'est le projet d'un jeune agriculteur qui veut se lancer dans l'économie régionale. Par exemple, la Wallonie ne produit que 40% de la viande porcine qu'elle consomme", avance Luc pattyn. Le circuit court est encore davantage favorisé par la création d'une boucherie dans la ferme pour vendre directement la viande aux locaux. Toutes les étapes de la production sont donc assurées et contrôlées en un même endroit, jusqu'à la vente aux consommateurs. Par ailleurs, un recyclage des effluents (eaux usées) en engrais naturel est prévu pour les terres.

Le bien-être animal serait également garanti. "Les règles de bien-être animal en Wallonie et en Belgique sont les plus strictes au monde. Et bien sûr, nous les respectons", assure Luc Pattyn. Pour montrer qu'il ne s'agit pas seulement de belles paroles, la famille a commandé une étude préalable, pourtant pas obligatoire précise-t-elle, sur les éventuelles conséquences de l'élevage. Les résultats de cette étude ont été positifs.


Une autre façon de cultiver et produire

Pour d'autres, comme ce cultivateur qui a réagi sur Facebook à cet article, même s'il respecte les lois européennes, le projet de Benoit reste dans un modèle productiviste qui doit désormais faire partie du passé.

"Certes, on peut toujours argumenter que les néo-ruraux sont « déconnectés du monde rural » mais ne devrait-on pas reconnaître par la même occasion que l’agriculture industrielle dite « moderne » est tout autant déconnectée de la Nature et de ses équilibres fondamentaux? Peut-on vraiment parler de "bien-être animal" quand les besoins physiologiques élémentaires de celui-ci ne sont pas respectés: être en contact avec la terre, bénéficier d’un espace vital, respirer l’air libre, manger une alimentation naturelle et vivre "heureux" sa vie d’animal … et ce, qu’il soit destiné ou non à notre consommation ! A chacun de faire son choix sur ce dernier point", estime-t-il.

Le cultivateur se veut positif et résolument tourné vers une agriculture avec des valeurs qui tranchent avec celles de la seule rentabilité. "Alors OUI, il y a encore beaucoup de place pour des projets agricoles en Wallonie. C’est même indispensable … mais des projets différents ! Des projets d'agriculture familiale créatrice d'emplois et de réelle valeur ajoutée ... des projets respectueux de leur environnement et non juste des normes environnementales … des projets où l’agriculture travaille avec la nature et non plus contre elle ... des projets où les consommateurs prennent le temps de rencontrer et soutenir ceux qui produisent leur alimentation ... des projets où le prix n’est plus le seul argument de décision, que ce soit du côté du producteur ou du consommateur … des projets où les producteurs, éleveurs ou agriculteurs seront enfin payés dignement pour leur travail essentiel … Et pour ça, c’est le système tout entier qui doit changer!", écrit-il.


La voie du milieu

D'une part, on ne peut que se réjouir, comme signe de bonne santé de notre démocratie, de la capacité de citoyens à s'exprimer et à se mobiliser contre des projets qui leur parait constituer une menace pour l'environnement, la santé ou la qualité de vie, que le projet soit agricole ou industriel. On ne peut que saluer aussi ces personnes qui luttent pour le bien-être animal et combattent certains élevages industriels ou intensifs (davantage localisés en Flandre) dont les images en caméra cachée ont régulièrement choqué cette année.

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Mais d'autre part, le milieu rural, sous peine de se transformer en un gigantesque dortoir des grandes villes, doit pouvoir maintenir (et donc développer) une activité agricole qui a jusqu'à présent constitué son essence première. De nouvelles opportunités existent avec le développement du bio et le souhait d'une population croissante de manger des produits locaux. La Fédération wallonne de l'agriculture déplore donc une mobilisation désormais quasi systématique contre les projets agricoles, en particulier des quelques rares jeunes qui font encore le pari de l'avenir dans cette branche malgré les innombrables difficultés.

Il appartiendra aux autorités de se prononcer. Les habitants ont jusqu'au 11 décembre prochain pour apporter leurs commentaires au projet.

La production de porcs en Wallonie est loin d'atteindre le niveau "industriel" de la Flandre. La région ne fournit en effet que 6% de la production porcine belge, soit environ 380.000 bêtes élevées dans 582 exploitations (chiffres 2015).


 

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