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Prières de rue: des problèmes rares, pas forcément liés à un manque de mosquées

Prières de rue: des problèmes rares, pas forcément liés à un manque de mosquées
Des musulmans prient dans une rue de Clichy, dans les Hauts-de-Seine, le 10 novembre 2017ALAIN JOCARD
 
 

L'affaire des prières de rue de Clichy-la-Garenne jette une lumière vive sur des problèmes qui restent rares en France et ne sont pas forcément liés à un manque de lieux de culte, mais à un conflit de légitimité entre associations musulmanes, selon des experts.

Concilier liberté de culte et ordre public

La question des prières de rue est épineuse: difficile d'y répondre par l'alternative licite/illicite. Le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a précisé dimanche que les rassemblements seraient désormais interdits à Clichy, tout en redisant que les fidèles devaient "avoir un lieu de culte pour pouvoir prier".

Le cadre juridique abritant l'exercice de sa religion, liberté fondamentale, est plutôt conciliant. "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi", proclame la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789.

Quant aux "manifestations extérieures d'un culte" mentionnées par la loi de 1905 séparant les Eglises et l'Etat, elles sont généralement soumises à déclaration préalable en mairie ou en préfecture.

"S'il n'y a pas eu déclaration préalable, la prière est interdite. Mais s'il y en a eu, il faut que le maire ou l'autorité de police démontre qu'il y a un problème d'ordre public pour l'interdire", explique à l'AFP le président de l'Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco.

Des rassemblements isolés

Les tensions autour de prières de rue sont-elles fréquentes? "Par rapport au nombre de lieux, c'est très minoritaire", relativise Didier Leschi, auteur de "Misère(s) de l'islam de France" (Cerf).

Les frictions sont souvent liées à des situations particulières. Avant Clichy (Hauts-de-Seine), les prières de rue de Lagny (Seine-et-Marne) ont fait parler d'elles après la fermeture fin 2015 de la mosquée locale, jugée "radicale".

Des prières débordant des mosquées sont tolérées si elles ne gênent pas la circulation, par exemple quand la salle est saturée. "C'est souvent très limité dans le temps, au moment de l'Aïd", note Didier Leschi.

Un manque de lieux, vraiment?

Le secrétaire général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, met en avant la nécessité de nouvelles mosquées pour "mettre fin à ce tintamarre", selon lui "envenimé" à Clichy par la mairie et les élus de droite.

Estimant à 1,25 million le nombre de musulmans se rendant régulièrement dans une mosquée en France, ce responsable pense qu'il faut 600.000 m2 pour leur permettre de prier dignement, contre 300.000 m2 de surface existante. Il faut donc doubler le nombre de lieux si on veut garder des "mosquées de proximité", fait valoir ce dirigeant, qui préfère "que les personnes prient chez eux plutôt que d'aller se prosterner dans les caniveaux, ce qui est indigne d'une religion".

"On a maintenant environ 2.600 lieux de culte décents, ce qui n'est pas loin de répondre aux besoins", observe Jean-Louis Bianco. Didier Leschi estime même que, en comptant les salles de prière dans les foyers de travailleurs migrants, le nombre de lieux avoisine les 3.000. Soit presque un doublement en vingt ans.

Une croissance permise par les pouvoirs, selon ce spécialiste. Pour lui, l'islam est plutôt mieux loti que le christianisme évangélique, qui n'a guère bénéficié de baux emphytéotiques (longue durée) alors qu'il est en manque notoire de lieux.

Dissensions intracommunautaires

A Clichy, le maire fait valoir qu'une mosquée du nord de la commune peut accueillir les fidèles priant dans la rue, ce qu'ils contestent, arguant qu'elle est exiguë. Pour Didier Leschi, le conflit repose surtout sur des "dissensions entre associations musulmanes", l'une à la tête du lieu fermé par la mairie, l'autre gérant la salle où elle veut les regrouper.

"La vision qu'ont beaucoup de personnes ne tient pas compte des problèmes de différences nationales: la +oumma+", la communauté des croyants, sur le terrain, "ça n'existe pas", selon cet expert. Le dossier de Clichy lui rappelle celui de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), marqué il y a quelques mois par "une opposition entre une association de sensibilité turque et une maghrébine".

"Un bureau gérant une mosquée peut être mixte", avec plusieurs origines à sa tête, reconnaît Abdallah Zekri. "Qu'on arrête avec ces histoires d'ego!"


 

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