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Espagne: la crise catalane fait fleurir les reproches de "franquisme"

Espagne: la crise catalane fait fleurir les reproches de "franquisme"
Un drapeau espagnol frappé des emblèmes du franquisme durant une cérémonie pour commémorer le 42e anniversaire de la mort du dictateur Francisco Franco à Madrid, le 19 novembre 2017PIERRE-PHILIPPE MARCOU
 
 

A l'approche d'élections cruciales en Catalogne, les accusations de "franquisme" se multiplient dans une Espagne qui n'a pas terminé un examen critique de la dictature de Francisco Franco.

"Vous êtes des franquistes, vous avez peur de la démocratie", a ainsi lancé à l'adresse du gouvernement espagnol de Mariano Rajoy un des "ministres" du gouvernement indépendantiste catalan déchu, Toni Comin, lors d'un meeting à Bruxelles où il s'est exilé avec le président régional destitué, Carles Puigdemont.

Aussitôt après la proclamation d'une "République catalane" le 27 octobre à Barcelone, Madrid avait placé la région sous tutelle, destitué son exécutif et dissous son Parlement.

Les anciens dirigeants indépendantistes comptent à présent reconquérir le pouvoir, aux élections régionales du 21 décembre. Poursuivis pour "rébellion" et "sédition" - et pour certains emprisonnés - ils se posent en "démocrates", victimes d'un régime qui serait resté "franquiste".

"Ce qui a surgi en Catalogne, cette idée qu'en Espagne +nous vivons sous le franquisme+, est complètement absurde", estime cependant l'historien Julian Casanova, spécialiste de cette période, ayant dirigé un ouvrage collectif sur tous les aspects de la dictature qui fit exécuter au moins 50.000 personnes dans la seule décennie d'après-guerre civile.

"Les vices de la démocratie actuelle sont les nôtres", préfère dire l'historien.

Dans son dernier livre "Que se passe-t-il en Catalogne?", l'écrivain catalan Eduardo Mendoza dénonce, lui, une instrumentalisation du franquisme en Espagne et "spécialement en Catalogne, où l'on sort l'image de Franco en procession pour justifier sa conduite ou invalider celle de l'adversaire".

A la tête des militaires qui s'étaient soulevés contre la République, le général Francisco Franco avait remporté la guerre civile (1936-1939) avec l'aide de Hitler et Mussolini, avant de diriger le pays en dictateur jusqu'à sa mort en 1975.

Pour ne pas rouvrir les plaies du passé, l'Espagne avait effectué sa transition vers la démocratie en évitant de réclamer des comptes aux tenants du régime, dont certains avaient fondé l'Alliance populaire, précurseur du Parti Populaire (PP) de M. Rajoy.

- 'Oubli immoral' -

En toutes occasions, M. Puigdemont promet aux Catalans un nouveau pays "sans les vices hérités du franquisme". Et en septembre, il avait présenté M. Rajoy comme le "gardien" de la tombe du dictateur.

Une allusion au fait que le chef du gouvernement a ignoré une demande, formulée en avril par une large majorité des députés espagnols, pour que Franco soit exhumé du gigantesque mausolée qu'il s'était lui-même fait construire.

Pour l'historien Casanova, "la démocratie espagnole n'est pas pire que d'autres mais elle a toujours eu beaucoup de problèmes avec son regard sur le passé" et "la mémoire des victimes (du franquisme) a été foulée aux pieds d'innombrables fois".

En avril, aux funérailles de l'un des derniers ministres de Franco, Jose Utrera Molina, des participants faisaient tranquillement le salut fasciste en public. Son gendre Alberto Ruiz Gallardon -ex-ministre de la Justice de Mariano Rajoy - portait le cercueil.

Une Fondation nationale Francisco Franco fait toujours l'apologie du dictateur et 230.000 Espagnols ont signé une pétition remise au Parlement en novembre, pour qu'elle ne bénéficie plus de ce statut qui offre des réductions d'impôts aux donateurs. "Une Fondation Hitler ou une Fondation Mussolini seraient inimaginables en Allemagne ou en Italie", soulignaient-ils.

M. Rajoy s'était aussi publiquement vanté, en 2015, d'avoir consacré "zéro euro" à la mise en application de la loi dite de la Mémoire historique.

Votée sous un précédent gouvernement socialiste, cette loi devait notamment permettre aux pouvoirs publics d'aider les familles de "disparus" du franquisme à ouvrir les fosses communes où gisent encore des dizaines de milliers de victimes.

D'un côté, "il y a des restes sociologiques du franquisme et de l'autre, un oubli immoral", dit le philosophe Manuel Reyes Mate. "Nous n'avons pas voulu comprendre que la démocratie s'était construite sur une injustice: le fait que la dictature avait vaincu la république".

Quant aux indépendantistes catalans, ils "utilisent rhétoriquement l'idée que l'Etat est franquiste mais proposent une nouvelle identité, un nouveau pays, contre la volonté de la moitié des Catalans", proteste Reyes Mate.


 

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