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En Autriche, réhabiliter par milliers les gays condamnés

 
 

Michael Woditschka se souvient comme si c'était hier de ce jour maudit de 1999 où la police l'a convoqué. Son crime: avoir eu à 19 ans une relation avec un jeune homme de deux ans son cadet. Vingt-cinq ans après, l'Autriche "s'excuse" enfin.

Depuis le 1er février, le pays alpin de 9 millions d'habitants promet d'annuler les peines de tous ceux qui se manifesteront et de les indemniser.

Début mars, les députés français ont aussi adopté un texte réparateur pour des préjudices subis par les personnes homosexuelles entre 1942 et 1982.

En Autriche, les condamnations ont perduré... jusqu'en 2002.

Le nom de cet Autrichien aujourd'hui âgé de 44 ans figurait sur la liste d'amants fournie par son ancien partenaire de deux ans plus jeune que lui, arrêté lors d'ébats amoureux dans une voiture.

"J'étais en pleine recherche d'identité, je me construisais et tout à coup, je me suis retrouvé traité comme un délinquant sexuel, à devoir détailler mes pratiques au poste", dit amer ce conseiller en communication, à la barbe grisonnante bien taillée.

Au tribunal, il écopera d'une amende pour "fornication homosexuelle avec un mineur" après une lecture méthodique du procès-verbal, "digne d'un porno bon marché", lors de l'audience publique, très suivie par la presse.

"Toute l'Autriche a soudain su que j'étais gay. Quand, avec qui et comment", six décennies après les heures noires du nazisme dans ce pays annexé par Adolf Hitler en 1938, qui a persécuté jusqu'à la mort la communauté homosexuelle.

- "Mort sociale" -

L'homosexualité a bien été dépénalisée en 1971 en Autriche, mais des milliers de gays et de bisexuels ont tout de même été condamnés par la suite en raison de nouveaux paragraphes du code pénal.

La prostitution gay est restée interdite jusqu'en 1989, le droit d'association jusque dans les années 1990.

Et bien après l'adhésion à l'Union européenne en 1995, il fallait être majeur pour consommer une relation entre hommes, alors que les lesbiennes et hétérosexuels étaient libres de leurs actes dès 14 ans.

Même si on n'était pas poursuivi ou condamné à une peine avec sursis, "on était généralement placé en détention préventive et alors tout le monde savait", explique Andreas Brunner, 62 ans, co-responsable du centre d'archives QWIEN spécialisé dans l'histoire queer.

"Pour beaucoup, c'était une mort sociale": décrocher l'emploi de ses rêves pouvait devenir impossible alors que nombre de corps professionnels et d'entreprises réclament un casier judiciaire vierge.

Le parti conservateur au pouvoir n'a jamais voulu modifier cette législation, pourtant contraire au droit européen, arguant avec le soutien de la puissante église catholique qu'il fallait "protéger les jeunes hommes contre les homosexuels", rappelle M. Brunner.

- Rien "n'effacera" la souffrance -

En 2002, c'est la Cour européenne des droits de l'homme qui lui a forcé la main, signant la fin de ces discriminations.

Et depuis, toutes les avancées concernant les minorités sexuelles et de genre sont venues de la cour suprême autrichienne, jusqu'au mariage et à l'adoption en 2019.

Il était temps de "regarder l'histoire en face et de prendre nos responsabilités", juge donc la ministre de la justice Alma Zadic, issue des rangs écologistes qui occupent ce ministère pour la première fois en Autriche.

L'Allemagne avait, elle, franchi le pas en 2017 déjà, réhabilitant quelque 50.000 hommes condamnés sur la base d'un texte nazi resté en vigueur longtemps après la Seconde Guerre mondiale.

En Autriche, ils sont environ 11.000 à être éligibles.

Un fonds d'indemnisation de 33 millions d'euros a été mis en place pour verser à chacun une somme de 3.000 euros, avec 1.500 euros supplémentaires pour chaque année d'emprisonnement.

Bien comme "symbole" pour Michael Woditschka, alors que les droits humains régressent par exemple dans la Hongrie voisine de Viktor Orban, mais "insuffisant".

"Certains ont tout perdu" et "j'aurais trouvé plus élégant qu'on nous écrive directement", au lieu qu'on nous demande "d'apporter nous-mêmes des preuves, de faire des démarches", estime-t-il.

"Beaucoup se diront que cela ne vaut pas le coup de rouvrir la plaie" pour une somme jugée faible, qui "n'effacera pas" le traumatisme.


 

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