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Au Danemark, les "funérailles" d'un fjord

 
 

Plus d'un millier de personnes se sont rassemblées samedi au bord de l'eau à Vejle, dans l'ouest du Danemark, pour célébrer les "funérailles" d'un fjord, dont l'écosystème a été asphyxié par les activités humaines, notamment les rejets agricoles.

"C'est un événement douloureux. L'année dernière, le Danemark a connu la plus forte désoxygénation (de l'eau) depuis 25 ans", affirme à l'AFP Christian Fromberg, chargé de la manifestation chez Greenpeace, qui l'a organisée.

L'équivalent de 7.500 km2, soit 17% de la superficie du Danemark métropolitain, est touché par le problème, selon l'Agence de l'environnement danoise.

Sans oxygène, faune et flore marines disparaissent.

"Il y a une trentaine d'années, on pouvait les attraper comme ça (les poissons). Et maintenant, c'est terminé, y a plus rien, le fond est totalement pollué, y a plus de vie", résume Hugues Dedieu, un habitant de Vejle.

Pour le biologiste Stiig Markager, de l'Université d'Aarhus, on peut parler de "mort du fjord" car "les principaux composants de l'écosystème ont atteint un niveau si bas qu'ils ne remplissent plus leur rôle".

Adieu donc zostères, moules et anguilles: une caméra de surveillance sous-marine placée par la mairie n'a détecté qu'un seul et unique poisson en 70 heures de fonctionnement.

En 2022, un rapport de l'Université du Danemark du Sud relevait déjà le "mauvais état environnemental" de ce fjord long de 22 km, à cause de la forte présence d'azote issu d'engrais "dont la majeure partie provient du ruissellement diffus des zones cultivées".

- L'agriculture coupable -

"Les coupables, ce sont les porcs et les bovins", estime M. Markager, qui a soutenu l'initiative de Greenpeace. Au Danemark, "environ 33 millions de porcs sont produits chaque année et 64% des terres sont cultivées", note-t-il.

L'association des agriculteurs assure ne pas ménager ses efforts pour optimiser ses pratiques.

"Les agriculteurs danois s'efforcent constamment de réduire les quantités d'azote, ce qui a permis d'en diminuer de moitié le déversement depuis 1990", affirme à l'AFP Marie Østergaard, une responsable "Eau et nature" de l'association.

"L'accent est désormais mis sur l'élimination des sols pauvres pour recréer des zones humides, qui éliminent naturellement les nitrates de l'eau. Cela prend du temps", assure-t-elle.

Rejetés dans l'eau, les engrais servent de nourriture aux algues qui se multiplient ensuite en surface et empêchent la pénétration de la lumière dans l'eau, nécessaire au rejet d'oxygène: les eaux profondes subissent alors un appauvrissement en oxygène, aggravé par le réchauffement.

Pendant la cérémonie, les hommages au fjord, à sa place dans la vie locale, alternent avec des intermèdes musicaux, devant une foule aux visages sérieux.

D'aucuns évoquent les premières pêches, ou les premiers baisers sur le fjord, d'autres la symbolique de cet "enterrement" de la nature.

La pasteure, Sarah Kragh Dedieu, conclut l'événement par une prière d'espoir après une lecture de la Bible portant sur la création de la mer et de la terre.

"En tant que prêtre, j'ai pensé que je pouvais apporter de l'espoir dans le désespoir", dit-elle.

"C'était à la fois déchirant et réconfortant", juge une participante, Mette Hedegaard, venue avec sa planche de paddle.

Seules cinq des 109 zones côtières danoises sont classées en "bon état écologique" par l'Agence de l'environnement.

"Le Danemark est très probablement l'État membre de l'UE dont les eaux marines sont dans le pire état écologique", déplore M. Markager.

Et sa géographie est une condition aggravante.

Les "nombreux estuaires fermés et une faible salinité (...) entraînent une stratification de la colonne d'eau et la rendent plus vulnérable à l'eutrophisation", explique-t-il.

D'après le Conseil danois du climat, le Danemark ne remplit pas ses objectifs climatiques. Il est notamment loin de pouvoir assurer une réduction de 70% de ses émissions d'ici 2030.

Pour l'universitaire, "les charges d'azote provenant de l'agriculture danoise doivent être réduites de 45% en l'espace de trois ans afin de se conformer à la directive-cadre sur l'eau de l'UE".


 

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