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Au procès de la pollution d'un incinérateur, le paradis perdu des villageois

Au procès de la pollution d'un incinérateur, le paradis perdu des villageois
L'agglomération de Melun comparaît pour "mise en danger" entre 1999 et 2002 et pour "poursuite d'une installation classée non conforme" entre mars et juin 2002DAMIEN MEYER
 
 

Ils s'étaient installés dans ce coin de Seine-et-Marne à la recherche d'une vie saine, mais les fumées nocives d'un incinérateur voisin ont brisé leur rêve campagnard. Mardi, lors du procès de cette pollution aux dioxines, des riverains ont dit leur colère et leur angoisse de l'avenir.

"Je suis arrivée à Maincy en 1968 avec mes parents pour vivre, sûrement, une vie meilleure", relate Isabelle Duflocq, l'une des quelque 160 parties civiles au procès, devant le tribunal correctionnel de Paris.

D'une voix douce, comme on lirait un conte, elle qui a grandi à Maincy et épousé un garçon du village se rappelle les débuts de l'incinérateur en 1974 et des "bons jours", ces journées sans vent ou dont les vents poussaient loin les fumées.

Maincy, avec ses poulaillers et ses potagers, se trouvait sous les vents dominants de cette usine implantée dans la commune voisine de Vaux-le-Pénil. Impossible à mettre aux normes, elle a fermé en juin 2002.

Il y eut rapidement de "petits signes", reprend cette femme blonde. "Les cendres sur les tables des jardins, sur le linge accroché aux fils".

Puis "des voisins touchés par le cancer". "Comme partout", mais les statistiques l'interpellent: "Dans la rue de ma maman, toutes les maisons des familles qui vivaient là à mon époque ont été touchées".

Arrivèrent ensuite des chiffres, alarmants, sur la teneur en dioxines des fumées de l'incinérateur ou des œufs des poules. Les oeufs, "ça a été difficile à accepter pour nos anciens, qui avaient nourri leurs enfants avec ce qu'il y avait de meilleur".

Aujourd'hui, termine-t-elle, émue, "c'est mon homme" qui est malade, atteint d'un lymphome.

Une dizaine de riverains sont morts notamment de ce "lymphome non hodgkinien" (cancer qui se développe à partir de cellules du système lymphatique) ces dernières années, selon les avocats des parties civiles, Pierre-Olivier Sur et Agathe Blanc, qui soupçonnent un lien avec l'incinérateur. Une dizaine d'autres en souffrent.

- 'Irresponsabilité' -

A la barre, les voix tremblent souvent, parfois laissent place à un sanglot.

Francis Galloy se remémore la "colère" de sa fille Anaïs, lorsqu'elle avait réalisé qu'ils vivaient "sous un nuage de poison". En 2014, à 30 ans, elle a succombé à un sarcome des tissus mous, une tumeur rare. Le père pleure devant les juges: que dire à sa cadette, angoissée d'être malade un jour ?

Les êtres humains sont essentiellement contaminés par les dioxines, qui se concentrent dans les graisses, par le biais de l'alimentation: lait, œufs... ou lait maternel. Danièle Crozes dit ainsi son "sentiment de culpabilité" d'avoir "aggravé l'imprégnation" de son enfant en l'allaitant.

"C'est la faute à pas d'bol", assura un jour un médecin à Jérôme Busato, qui a grandi à Vaux-le-Pénil. En 2008, cet homme sportif, alors trentenaire, avait appris qu'il souffrait lui aussi d'un lymphome.

S'il est établi qu'une exposition aux dioxines peut favoriser l'apparition de cancers, l'agglomération de Melun, seule prévenue dans ce procès, n'est pas jugée pour homicides ou blessures involontaires, en l'absence de lien de causalité formel établi entre les dioxines et ces maladies.

Elle comparaît pour "mise en danger" entre 1999 et 2002 et pour "poursuite d'une installation classée non conforme" entre mars et juin 2002, la justice lui reprochant de ne pas avoir réagi aux demandes de mise aux normes émises par la préfecture.

"J'éprouve de l'inquiétude, du dégoût, de l’écœurement face à l'irresponsabilité", résume Pascale Coffinet, ancienne maire de Maincy et présidente de l'association des victimes. "Je n'ai pas trouvé d'autre incinérateur ayant une pollution équivalente à celle que nous avons subie", assure-t-elle.

Cet été, cette artiste-peintre a fait analyser les poussières accumulées sous le toit de la mairie: quinze ans après la fermeture de l'usine, elles restent surchargées en dioxines.

Le procès se poursuit jusqu'au 11 décembre.


 

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