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Une Bohème intergalactique à l'Opéra de Paris

Une Bohème intergalactique à l'Opéra de Paris
Le metteur en scène allemand Claus Guth le 28 novembre 2017 à ParisMartin BUREAU
 
 

Attachez vos ceintures: c'est dans l'espace intersidéral que le metteur en scène allemand Claus Guth embarque "La Bohème" de Puccini, du 1er au 31 décembre à l'Opéra de Paris.

Rodolfo et ses comparses artistes du quartier latin ont survécu à un monde disparu. Ils vivent leurs dernières heures dans une station spatiale en panne, dans un décor immaculé où règne le froid et l'isolement, et se souviennent de leur jeunesse parisienne.

Le pari est osé: de tout le répertoire, "La Bohème", avec son grenier sous les toits, la neige qui tombe sur Paris et la touchante Mimi est peut-être l'opéra dont les mises en scène ont le moins bougé depuis sa création en 1896, relevait le 27 octobre dernier le New York Times.

Covent Garden a monté cette année sa première nouvelle production (de Richard Jones) depuis 1974, New York, Vienne et la Scala de Milan reprennent en boucle des productions anciennes de Franco Zeffirelli, et Munich continue de jouer celle de Otto Schenk de 1969, rappelait le quotidien.

"C'est un tel pilier du répertoire que les maisons d'opéra n'osent pas le toucher", observe Claus Guth. "De mon point de vue, les productions reprennent souvent des clichés stupides: les pauvres artistes, l'atelier sous les toits de Paris etc."

Le metteur en scène, convaincu que "ce n'est pas avec ces clichés que je vais attirer les jeunes à l'opéra" a d'emblée cherché un autre ressort pour sa production.

Et l'a trouvé dans la fin du roman de Henri Murger, "Scènes de la vie de bohème", qui a inspiré le livret. "Dans le dernier chapitre, les jeunes gens sont devenus vieux, ils se remémorent leur jeunesse de façon nostalgique, il y a quelque chose de l'ordre de la vanité, de la mort dans ce tableau".

- 'Solaris' -

Claus Guth a alors l'idée de construire sa "Bohème" comme une vaste réminiscence d'un temps disparu, où ses héros en manque d'oxygène ont des hallucinations où reviennent leurs souvenirs de jeunesse.

"J'ai été inspiré par un de mes livres favoris, Solaris", explique le metteur en scène. Dans le roman de science-fiction de Stanislas Lem, des scientifiques à bord d'une station spatiale voient leurs proches disparus leur apparaître comme des créatures réelles en trois dimensions.

Claus Guth, qui a jusqu'à présent été très bien accueilli à Paris avec un "Rigoletto" et un "Lohengrin" anticipe des réactions virulentes.

"Certains seront irrités parce que c'est très loin du texte, mais je pense qu'en réalité on en est plus près que jamais, avec des questions existentielles sur la peur, la faim, la solitude."

Ce musicien de formation (il était à la même école de musique que Jonas Kaufmann) revendique aussi une réelle proximité avec la partition: "quand je travaille, je mets de côté le livret et je me concentre sur les images qu'évoque la musique".

Vendredi, le chef vénézuélien Gustavo Dudamel sera à la baguette, avec notamment la soprano bulgare Sonya Yoncheva en Mimi, Aida Garifullina en Musetta et Atalla Ayan en Rodolfo.

Claus Guth espère avec sa mise en scène "faire entendre la partition comme neuve. J'adore La Bohème et je pense qu'il est temps de confronter l'oeuvre à un autre monde visuel".

Lorsqu'il est initié à l'opéra par ses parents à Francfort, où il est né en 1964, Claus Guth est subjugué par les productions radicales invitées par Gérard Mortier, directeur à l'époque. "L'opéra n'est pas une forme d'art morte. C'est au contraire très émotionnel, sinon les gens ne réagiraient pas si violemment", sourit-il.

Il a eu son compte de huées, à Salzbourg dernièrement pour un "Fidelio" en 2015, mais est généralement salué pour des relectures justifiées des oeuvres.

"Pour moi, c'est intéressant si vous allez au coeur de l'oeuvre pour y trouver une forme que vous amplifiez ensuite: dans La Bohème, il s'agit de créer des images pour ces membres d'une génération perdue qui ne sait pas où elle va dans la vie".


 

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