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Au procès pour diffamation de Roman Polanski, une accusatrice en colère

Au procès pour diffamation de Roman Polanski, une accusatrice en colère
L'actrice britannique Charlotte Lewis arrive au palais de justice des Batignolles, à Paris le 5 mars 2024Alain JOCARD
 
 

Des années qu'on ne la croyait pas quand elle disait qu'il l'avait violée, et puis paraît un entretien de Roman Polanski la "traitant de menteuse". "Ca a été la goutte d'eau", lâche Charlotte Lewis devant le tribunal parisien qui juge le réalisateur franco-polonais pour diffamation.

C'est bien Roman Polanski qui est jugé mardi, mais le cinéaste de 90 ans multi-primé, accusé de viols et agressions sexuelles par une dizaine de femmes, est absent, seulement représenté par ses avocats.

Alors, tous les regards dans la salle sont tournés vers Charlotte Lewis, la très fine femme de 56 ans, tout de noir vêtue, venue du Royaume-Uni pour témoigner à la barre.

Au début des années 1980, raconte l'actrice via une interprète, elle avait 16 ans et travaillait comme mannequin à Londres. "On me demande si je veux jouer dans un film, si je veux rencontrer Roman Polanski."

Arrivée à Paris avec "Karen", une autre mannequin plus âgée, elle est installée dans un petit hôtel que Roman Polanski "trouve pas terrible", alors il les installe dans son appartement.

"On va dîner, on est rentré à l'appartement, Karen est allée se coucher et m'a laissée seule avec Roman. Et c'est là qu'il m'a violée", relate Charlotte Lewis.

"Pourquoi" alors tourner dans son film "Pirates", faire la promotion du film, "pourquoi vous ne le dénoncez pas?", lui demande son avocat Benjamin Chouai.

"Je ne savais pas que ce qui m'était arrivée était du viol", répond Mme Lewis. "Il n'était pas horrible, il ne m'a pas battue... et on a commencé à travailler ensemble. Je le respectais, il était gentil avec moi", poursuit-elle.

Elle a dénoncé publiquement ces faits pour la première fois en 2010, aux Etats-Unis où Roman Polanski est considéré comme un fugitif depuis les années 1970 après une condamnation pour des "relations sexuelles illégales" avec une mineure de 13 ans.

Le dialogue avec le tribunal se fait ensuite plus compliqué: Charlotte Lewis est en colère mais pas forcément contre Roman Polanski, veut répondre vite, interrompt tour à tour la présidente ou l'interprète qui tente péniblement de la traduire. "Slow down Charlotte" (ralentissez), la prie régulièrement dans son dos son avocat.

- "En pâture" -

Ce qu'il faut retenir, c'est que "les gens ne croient pas" aux accusations qu'elle a portées en 2010 et que sa vie devient un enfer. Notamment à cause d'un vieil article publié dans un tabloïd britannique 10 ans plus tôt et exhumé par le philosophe et écrivain Bernard-Henri Lévy sur son site.

Dans cet article, des citations - fausses selon elle - lui font dire qu'elle se prostituait à 14 ans, qu'elle rêvait d'être la "maîtresse" de Polanski.

"J'ai vécu une campagne de dénigrement. Ca a failli détruire ma vie", dit Charlotte Lewis entre deux sanglots de colère.

"Est-ce que vous regrettez d'avoir parlé?", demande son avocat.

"Oui, j'aurais préféré ne rien dire. Aujourd'hui, si une femme vient me dire qu'elle a été violée et me demande si elle doit le révéler, je lui dirai: non. Tire un trait sur tout ça, continue ta vie."

Mais l'objet de cette audience n'est pas de savoir si Roman Polanski a violé ou non Charlotte Lewis, ni quel crédit accorder à l'article du tabloïd, rappelle la procureure dans ses réquisitions. "La question est de savoir si Roman Polanski a fait, ou non, un usage abusif de sa liberté d'expression", dit celle qui "émet des doutes" sur la réalité de la diffamation et ne réclame pas de condamnation.

Dans l'article de Paris Match visé (datant de 2019), Roman Polanski avait qualifié d'"odieux mensonge" la version de Charlotte Lewis et souligné les "contradictions" entre les accusations de l'actrice et les propos de cette dernière dans le tabloïd britannique.

Un "accusé jeté en pâture sur la place publique a encore le droit de se défendre", s'insurge Me Delphine Meillet, l'une des avocates de Polanski.

Dans "le contexte étouffant de #Metoo", le mouvement de la libération de la parole des femmes, "le témoignage public a valeur de preuve, qui a valeur de vérité", regrette-t-elle.

"Qui a accusé qui ? et de la pire des choses qui soit...", renchérit son confrère Alain Jakubowicz, dénonçant un "procès absurde".

Le jugement sera rendu le 14 mai.


 

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