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Se disant maltraitée par sa mère, elle enregistre une conversation à son insu: la justice peut-elle accepter cette preuve?

Se disant maltraitée par sa mère, elle enregistre une conversation à son insu: la justice peut-elle accepter cette preuve?
 
 

Rendre public un enregistrement réalisé à l'insu d'une personne constitue une infraction. Mais, depuis quelques années, un juge ne peut plus rejeter automatiquement une preuve issue d'une infraction si elle intervient dans un procès, souvent pénal, pour une infraction beaucoup plus grave.

Une jeune fille nous a soumis une question intéressante via le bouton orange Alertez-nous: peut-on enregistrer la conversation de quelqu'un à son insu et utiliser ensuite l'enregistrement sonore comme preuve en justice? Sa demande ne nait pas d'une simple curiosité intellectuelle mais bien d'un cas concret vécu par son amie. Celle-ci serait maltraitée par ses parents depuis son enfance. Elle aurait porté plainte à la police et mettrait tout en oeuvre pour prouver ses accusations. Récemment, elle aurait enregistré une conversation téléphonique entre sa mère et une ancienne amie de celle-ci. Elle a fait écouter à notre alerteuse l'enregistrement. Il ne laisserait guère place au doute quant aux menaces et violences verbales que la mère est capable de proférer.

Cependant, même si elle dit "comprendre les raisons qui ont poussé son amie à le faire", l'adolescente n'est "pas à l'aise avec le fait qu'une personne enregistre une autre à son insu". Elle nous a donc adressé cette question de la validité d'une telle preuve devant la justice.


Le droit au respect de la vie privée

La loi est claire: rendre publique une conversation enregistrée à l'insu d'une personne constitue une infraction, essentiellement car cela porte atteinte au droit au respect de sa vie privée. Se pose donc la véritable question: un tribunal qui traite d'une infraction peut-il accepter une preuve qui résulte elle-même... d'une infraction?


Une question de degré de gravité

En fait, tout dépend de la gravité de l'infraction que la cour doit juger. La Cour de cassation déclare qu'une preuve obtenue de manière illicite n'entraîne pas d'office son exclusion pour autant que "la gravité de l'infraction dépasse de manière importante la gravité de l'irrégularité".

La preuve aura plus ou moins de chance d'être retenue selon le type d'affaires jugé.


Affaires pénales et affaires civiles

La justice traite des affaires pénales et des affaires civiles. Le droit pénal ou droit criminel détermine des comportements antisociaux (maltraitance, meurtre, etc.). Il représente la réaction de la société envers ces comportements. Le droit pénal concerne donc le rapport entre la société et l'individu.

Le droit civil traite, lui, des rapports entre deux personnes morales (associations, entreprises, etc.) ou physiques (êtres humains). Par exemple, on trouvera donc dans ce domaine un litige entre une personne et une entreprise.

"Les intérêts protégés étant de nature différente, ceux de la communauté des citoyens dans le premier cas, les libertés individuelles dans le second, le traitement de la preuve relève de régimes différents", expose l'avocat Nicolas Guerrero.

Vu sa nature, le droit pénal autorisera plus facilement que le droit civil une preuve qui provient d'un enregistrement illicite. "En général, la simple circonstance que la preuve a été obtenue en violation du droit au respect de la vie privée n'implique pas le rejet de celle-ci", nous explique une avocate spécialisée.


"Jurisprudence Antigone"

En Belgique, il existait une "jurisprudence Antigone" (du nom d'une opération de police dans laquelle des preuves ont été obtenues de façon irrégulière).

Une jurisprudence désigne l'ensemble des décisions de justice par rapport à une question donnée.

Par exemple, dans plusieurs procès pénaux au cours des dix dernières années, la cour de cassation a admis qu'une preuve, bien qu'obtenue de façon irrégulière, pouvait être retenue par le juge. Cet ensemble de décisions de ces cours de cassation forme une jurisprudence qu'aura tendance à suivre un juge lorsqu'il se trouvera face à une question similaire (Puis-je utiliser cette preuve?) lors d'une prochain procès. Précisons toutefois que le juge n'est pas obligé de suivre la jurisprudence, les circonstances d'

La jurisprudence Antigone a été transformée en loi en 2013. Et cette loi dit que le juge ne peut plus de manière mécanique rejeter un moyen de preuve obtenu de manière irrégulière. Il peut néanmoins toujours bien rejeter la preuve dans trois situations. Afin d'éviter des explications trop techniques, nous vous invitons à découvrir ces situations dans l'article La preuve dans le procès pénal: la jurisprudence Antigone. Donc, dans le cas de la jeune fille qui serait maltraitée, si les maltraitances sont très graves, le juge pourrait estimer que l'enregistrement de la conversation puisse constituer un élément de preuve parmi d'autres.


Un enregistrement illicite accepté par une cour du Travail à Liège

Pour être complet, sachez que lorsqu'il s'agit d'une affaire civile, le tribunal sera beaucoup plus sévère avec un enregistrement illicite et le rejettera beaucoup plus souvent comme élément de preuve. Ainsi, chez nos voisins français, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation qui se prononçait en matière de contentieux commercial en 2011, rappelait que "l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve". Chez nous toutefois, il est déjà arrivé que le juge d'une cour civile admette une preuve obtenue irrégulièrement. C'était le cas en 2014 à Liège, une cour du Travail ayant accepté l'enregistrement secret par un travailleur d'une discussion avec son employeur.


 

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