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Amin, réfugié syrien en Belgique depuis 2 ans: "Je savais que sans langue, je ne trouverais pas de travail"

Amin, réfugié syrien en Belgique depuis 2 ans: "Je savais que sans langue, je ne trouverais pas de travail"
 
7 réfugiés syriens en Belgique
 

AMIN | 27 ANS | BRUXELLES | ARRIVÉ LE 16 JUILLET 2015

Amin a quitté Alep il y a quatre ans. Il est d’abord parti vivre en Irak puis en Turquie. En Syrie, le jeune homme étudiait la géographie et travaillait en parallèle pour la firme Nokia. Avec ses parents, ils ont dû quitter leur maison en 2013, lorsque des manifestations, et la répression qui a suivi, ont commencé à prendre de l’ampleur dans la ville. Rapidement, leur quartier s’est transformé en zone de combats.

Aujourd’hui, Amin, qui parle désormais le néerlandais, est employé au sein de l’ONG SOS Village d’enfants et espère obtenir un visa humanitaire pour faire venir ses parents et l’un de ses frères.

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Pourquoi as-tu quitté la Syrie ?

Des manifestations ont commencé à l’université d’Alep et des violences ont éclaté. Des personnes sont mortes. La peur des parents était constante, on nous disait de ne plus aller à l’université. J’ai été confronté à une scène que je ne veux pas raconter. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de partir.  J’ai vu des étudiants, garçons comme filles, être frappés, quel que soit leur camp. Ce n’était plus un pays, ce n’était plus une université. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de partir.

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Par nature, on a peur de ceux qui sont habillés en policier ou en soldat, mais je n’aurais jamais pensé qu’ils nous attaqueraient. Quand j’ai constaté qu’ils pouvaient porter des coups ou lever leurs armes sur nous, j’ai été surpris de l’endroit où je vivais.

En 2013, j’ai accompagné la compagnie Nokia qui déménageait à Erbil dans le Kurdistan irakien.

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J’y ai travaillé deux ans. Ensuite, j’ai rejoint mes parents et mon petit frère en Turquie. Eux aussi avaient fini par quitter Alep et la Syrie. Ils voyaient des avions au-dessus de leur maison. Puis, pendant 3 jours on ne pouvait plus les contacter, on ne savait pas s’ils étaient partis ou s’ils étaient toujours là. Finalement, on a appris qu’ils avaient fui en Turquie. Le quartier où on habitait était devenu une zone militaire.

Personne ne pensait qu'une telle chose se produirait dans une aussi grande ville qu’Alep, pas à ce point. Du jour au lendemain, tout a changé, tout s’est passé si soudainement, on ne comprend pas.

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Et comment tu es arrivé ici ?

J’ai essayé de travailler en Turquie après y avoir rejoint mes parents, mais il n’y avait pas trop d’options à part apprendre le turc. Il y avait des aides, mais on ne voulait pas en dépendre. J’étais un jeune homme, je voulais faire quelque chose. J’ai songé à rentrer en Syrie. Mais à la frontière, rien que de regarder ou entendre les bruits, je comprenais que le retour était impossible.


Donc l’intention était de s’installer avec tes parents en Turquie ?

Je ne voulais pas entreprendre le voyage vers l’Europe et risquer ma vie. On voyait ce qu'il advenait de ceux qui prenaient le chemin de la mer, je me disais que je ne ferais jamais ça. Si quelqu’un arrive à la moitié du chemin en mer et qu'il se passe quelque chose, où irait-il ?

Mais il n’y avait pas de travail en Turquie et tout ce qu’on avait gagné en Syrie avait été perdu. Donc, notre situation financière n’était plus du tout la même. Dès lors, j’ai quand même décidé de partir malgré le danger.

Si je le disais à mes parents, ce n’est pas qu’ils n’allaient pas autoriser mon départ, mais ils ne pouvaient pas non plus l'approuver car si quelque chose survenait… Personne ne peut porter une telle responsabilité. Finalement j’ai prévenu mon frère et ma mère avant de partir. Mon père, lui, n’a pas été mis au courant car il n’aurait jamais accepté que je prenne le chemin de la mer, mais j’avais besoin d’avoir l’accord et le support d’au moins ma mère et mon frère. Le voyage par la mer a bien sûr été difficile. Si c’était à refaire, je ne recommencerais pas.

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VIDEO - Des migrants érythréens qui, comme Amin, ont pris un bateau à Marmaris pour une île grecque. Mais l'embarcation a été détruite:

Tu as pris quel chemin pour rejoindre l’Europe?

J’ai embarqué à Marmaris en Turquie vers une île en Grèce. On était censés naviguer sur un bateau normal mais c’était un bateau de fortune. La traversée a duré 1h30 au lieu des 15 minutes annoncées car il y a eu des détours.

Le navigateur parlait une langue qu’on ne comprenait pas. 300 mètres avant l’arrivée, il nous a fait comprendre qu’il faudrait nager. Une femme avec nous ne savait pas nager, son jeune enfant non plus. On les a donc aidés pour atteindre la côte. On n’était pas équipés, on n’avait pas les gilets de sauvetage alors qu’on nous avait dit qu’il y en aurait. Quand on est arrivés, on a immédiatement contacté nos parents pour leur annoncer qu’on était arrivés.

On en avait fini avec la phase la plus terrifiante en Grèce : la mer. Pour le reste il s’agissait de marcher, c’était fatiguant et il y avait la police. Mais ça restait moins dangereux que la mer. On a beaucoup marché, parfois on se perdait.

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On voyait des femmes enceintes ou des personnes paralysées. Si eux pouvaient le faire, on pouvait aussi. Parfois la police nous arrêtait. C’est arrivé en Macédoine. On a beaucoup marché, au point qu’on saignait des pieds, jusqu’à la frontière de l’Autriche notamment en transitant par la Hongrie en voiture avec quelqu’un, illégalement. Puis en Autriche, nous avons emprunté en train pour Cologne.

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Nous étions deux amis et on en a rencontré un troisième sur le chemin. On s’est dit que si on arrivait en Belgique c’était tant mieux, mais que si l’un d’entre nous se faisait arrêter en Allemagne, les autres devaient continuer leur route. On savait qu’on se séparerait un jour. On était vraiment épuisés. On avait changé de vêtements et on ressemblait à des touristes. Par chance, je suis brun/blond, et je discutais avec des Allemandes dans le train, donc la police n'a pas fait attention à moi. C’était ma première fois en Allemagne et ma première fois en train.


Pourquoi la Belgique ?

J’avais entendu des (bonnes) choses sur la Belgique. Je savais qu’on y parlait deux langues. J’aime le français mais je préfère le néerlandais, j’aime même la couleur orange de la Hollande.

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Te souviens-tu de ton premier jour à Bruxelles ?

Je suis arrivé à la gare du Midi. Je ne parlais pas français et je suis tombé sur un Syrien. Je lui ai demandé en arabe quoi faire et où aller. J’avais encore peur de la police et il m’a dit que je devais aller… au commissariat. Pourquoi avoir peur d’eux m’a-t-il demandé ? Depuis, j’ai appris à ne plus avoir peur.

Le Syrien devait partir travailler, il m’a indiqué un endroit pour manger et aussi l’emplacement du commissariat pour déclarer ma présence. C'était le dernier jour du Ramadan. J’ai appelé mes parents pour leur dire que j’avais réussi. Ensuite je me suis lavé le visage pour me réveiller car dans le train j’étais stressé, j’avais peur que la police passe, s’ils me parlaient en allemand, c’était mort.

Je me suis rendu au commissariat deux heures plus tard. On m’a gardé trois jours dans le centre à Bruxelles, ensuite on m’a déplacé dans un centre à Bruges, le temps d’obtenir les papiers. Là-bas, ils étaient sympas et il y avait quelqu’un qui parlait l’arabe pour ceux qui ne comprenaient pas.

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Qu’espérais-tu trouver ici ?

Une vie normale et faire quelque chose, soit étudier soit travailler, ou aider mes parents à me rejoindre. J’ai quitté un endroit qui, je le sais va devenir pire.
J’avais en tête d’étudier le néerlandais intensivement, j’ai eu du mal mais j’y suis parvenu. Je savais que sans langue je ne pourrais pas travailler.

Je ne pouvais pas demander un regroupement familial pour mes parents car je n’ai pas moins de 18 ans mais j’espérais pouvoir leur obtenir un visa humanitaire. Pour avoir une chance que cela aboutisse, il fallait que je devienne un résident bien intégré, avec un travail. Soit j’étudiais et travaillais, soit je restais comme certaines autres personnes qui sont en attente d’une aide ou d’un emploi proposé par les services publics.

Je sais parler l’anglais, j’ai cherché un job en ligne. J’ai envoyé pleins de mails, j’ai amélioré mon cv en anglais et en néerlandais pour me créer plus d’opportunités. J’ai écrit à de nombreuses compagnies, des ONG… On me disait que si je voulais vraiment travailler je devais chercher dans un restaurant car les ONG ne m’embaucheraient pas. Une assistante du centre me soutenait beaucoup, elle m’a aidé à rédiger mon CV et ma lettre de motivation. Elle me disait de ne pas emprunter la même voie que les autres en travaillant dans un resto ou en attendant l’aide publique.


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Combien de temps as-tu patienté pour obtenir tes papiers?

J’ai attendu environ 7 mois pour obtenir un titre de séjour. Sans papier, je ne pouvais rien faire. Durant ce laps de temps, j'ai appris le néerlandais au centre de Bruges et en parallèle je faisais du bénévolat pour le CPAS comme interprète pour les réfugiés qui parlaient seulement l’arabe. Je me rendais aussi dans un autre centre à proximité pour apporter mon aide et accueillir les nouveaux arrivants. J’essayais de montrer que je pouvais faire quelque chose même si je ne disposais ni du diplôme nécessaire ni des papiers pour vraiment travailler et gagner un salaire.

Peu de temps après l'obtention de mes documents, l’association SOS village d’enfance m’a proposé un entretien à Bruxelles. Le responsable m’a posé plusieurs questions personnelles comme "Pourquoi es-tu venu?" "Où sont tes parents?" "Y a-t-il une différence entre des enfants syriens et les autres?" Il m’a dit qu’il me recontacterait dans une semaine. Je suis retourné à Bruges, mon assistante m’a demandé comment ça s’était passé et elle m’a dit que l’entretien lui semblait positif. Par contre, une autre assistante du bureau de travail m’avait conseillé de ne pas trop espérer et de rechercher un boulot dans un restaurant à la place. Elle me décourageait. Mais je voulais attendre la réponse de l’employeur.

Une semaine plus tard on m’a dit ok pour le travail !

Depuis dix mois maintenant, je suis salarié dans cette association à Bruxelles. C’était difficile de quitter Bruges. Je ne parlais pas français, je ne connaissais personne dans la capitale.


Comment s'est déroulé ton premier jour de travail?

Le premier jour a été très difficile, notamment à cause de mon néerlandais trop scolaire, je ne maîtrisais pas bien la langue dans sa pratique courante. Mais j’ai pu communiquer avec deux Turcs.

C’était la première fois que je travaillais dans une association internationale, j’ai vu ça comme une opportunité rare et j’étais prêt à tout pour ne pas la laisser filer. Je me suis notamment adapté à avoir des horaires fixes, auxquels je n'étais pas habitué.

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Quelle est ta fonction ?

Je travaille en tant qu’assistant auprès des réfugiés, pour la plupart des enfants. On leur apprend tout : comment vivre, comment sortir, manger, étudier, etc. Tout de A à Z. On les aide, comme on m’a aidé quand je suis arrivé.

Je suis content car c’est une ONG mondiale.

Je prouve que les réfugiés syriens ne sont pas limités seulement aux restaurants. Ils peuvent occuper toutes sortes de postes, je veux donner une nouvelle image des Syriens.


Ressens-tu de la discrimination ?

Il n’y a pas un pays sans racisme mais je n'en sens pas du tout sur mon lieu de travail où collaborent des personnes de différentes nationalités. Il n'y a pas de différence dans l’attitude des gens.


Vis-tu seul en Belgique ?

Mon frère plus jeune est venu 3 mois après moi avec mon cousin, ils ont pris le même chemin, et moi je les ai guidés au téléphone. Ils étudient tous deux le néerlandais et travaillent. Ils ont conclu un contrat avec la CPAS à Bruges. Au total, nous sommes 4 frères. Il y en a un en Irak, un autre à Oman et mon frère et moi en Belgique.

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Peux-tu décrire une journée normale aujourd'hui ?

Au travail, c’est le travail (rires). Mon frère a déménagé dans un appartement à Bruges (il était logé au centre de réfugiés de la ville avant) et c’est un bel appartement avec une grande terrasse, donc quand j’ai deux jours de vacances je vais chez lui. Bruges est une petite ville sympa, et j’y ai mon frère, mon cousin et des amis là-bas. Je sens qu’on y retrouve l’atmosphère syrienne, en buvant notre café, notre shisha… Et des fois ça me manque de parler en arabe.

Sinon à Bruxelles, j’aime bien la Grand Place et je passe du temps dans les cafés, j’aime bien les Starbucks.

Je mange de la nourriture arabe, mais aussi de la nourriture belge. On a des amis qui nous invitent et vice versa. J'ai familiarisé avec des personnes et des familles à Bruges. Ils nous connaissent mieux après avoir été dans nos maisons, goûté nos nourritures, découvert nos traditions et nos valeurs, pas celles qui sont négatives mais celles qui sont bien. Ils nous posent des questions sur les femmes chez nous, ou sur ce qu’on mange le matin. Ils veulent en savoir plus sur nous et notre mode de vie. Ils ont pu constater qu’on boit du café comme eux le matin.

On est des humains comme vous, je sens qu’on va nous demander si on va aux toilettes un de ces quatre ! (rires)

C’est vrai qu’il n’y a rien de pareil à la Syrie, à Alep ou mon village, mais quand je parle a quelqu’un et qu’il me demande où je vais, je leur dis que je rentre chez moi, à ma maison, qui est Bruges. Ce n’est pas ma ville maternelle, mais c’est devenu ma ville. Ce n’est pas comme Alep, mais ça va, on a trouvé un endroit où s’installer.


Quelles sont les différences marquantes entre Syriens et Belges ?

Que penses-tu quand tu entends des Belges qui estiment qu'il faut d'abord aider ses propres pauvres avant d'aider des réfugiés comme toi ?



Gardes-tu des contacts en Syrie ?

Mes oncles, tantes, cousins, beaucoup de proches sont restés en Syrie. Ils viennent de mon village dans le Rif d'Idlib. On arrive à parler quand il y a la connexion à internet. Ma région est un des lieux les plus chauds en ce moment, les dernières attaques chimiques étaient juste à côté (Khan Shaykhun).

Avant de partir, on pouvait voir la Syrie et ses montagnes à partir de la frontière turque et c’était la destruction, la mort, la guerre avec des avions de chasse dans le ciel. Quand tu regardes ça tu te dis qu’il n’y a vraiment plus l’espoir de revenir, surtout en ce moment.

À Alep, je ne sais plus rien sur quiconque, la communication est rompue, je ne sais pas si les personnes qui m'entouraient à l’université sont mortes ou vivantes, pareil pour mes voisins…. Je pense que si je voyais Alep maintenant je ne la reconnaitrais pas.


Qu’espères-tu accomplir en Belgique  ?

J’ai réalisé mes deux premiers buts: apprendre la langue et travailler. Maintenant, je veux rendre la pareille aux personnes qui m’ont aidé à arriver ici, c’est-à-dire mes parents et mon frère en particulier. En ce moment, je m'efforce de ramener mes parents via un visa humanitaire. J’ai constitué le dossier, j’ai donné une garantie comme quoi je travaille et comme quoi je les logerai. Ils ne viendront pas demander l’asile c’est sûr. Moi j’ai évité d’être un réfugié et je ne laisserai pas mes parents l’être ou dépendre des aides, je m’occuperai de tout. Mon assistante au CPAS se porte garante avec moi. Mon avocat a dit qu’il y avait 80% de chances que le dossier soit accepté.

Et puis il y a mon frère. Lui et ses deux enfants sont en Irak. Il ne veut pas que son fils grandisse en guerre. Parfois il lui demande, quand est-ce qu’on retourne à Alep dans notre grande maison ? Il a 7 ans et apprend déjà l’anglais au cas où ils sortiraient bientôt, pour que ce soit plus facile. (Il nous montre les photos de son petit neveu).  Il ne veut pas que son fils voit les choses que lui a vues.

Mon frère m’a aidé à venir ici. Je rêve de pouvoir à mon tour les aider à venir.


À quoi penses-tu le plus souvent? 


 

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